Une relation nait de la communication.
Verbale, écrite, voire tactile.
Quelle que
soit la forme de la rencontre, pour qu'il y ait lien il faut qu'il y ait
"contact". Cela se produit généralement par un mouvement spontané de
l'un vers l'autre, sans volonté consciente : un jour on se rend compte qu'un
lien a été établi.
Pour différentes raisons il
arrive que, par la suite, l'une des deux personnes décide qu'elle ne désire
plus être dans le même élan. Dès lors apparaît un "silence", donc une
"distance", qui ne représente que le décalage d'investissement de
chacun des partenaires dans la relation. L'un et l'autre n'ont plus le même
désir de communication. C'est un point d'inflexion, temporaire ou durable, dans
la construction du lien. Il est déstabilisant puisqu'il marque une
"rupture" dans la dynamique relationnelle. Il va nécessiter une
adaptation volontaire, et non plus spontanée, aux besoins de l'autre. L'un
souhaite "plus", tandis que l'autre désire "moins".
Le silence relationnel est la
marque de cette divergence. Mal géré, il peut aboutir à des tensions d'autant
plus fortes que le lien affectif est soutenu. Et chaque partenaire risque
d'être tenté par une imposition de son point de vue, alors que les besoins sont
contradictoires.
Il n'y a aucun intérêt à entrer
dans une logique d'opposition, sous peine de blesser la relation. Imposer le
silence est tout aussi violent que d'imposer la parole. L'écoute des besoins de
l'autre, du moment qu'ils sont exprimés, et la base du respect et de la
confiance.
Je perçois le besoin de
silence comme un besoin de reprise de distance affective. Un désir de se
recentrer sur soi. Quelle que soit la valeur de la relation, le désir de
silence exprime un besoin d'en diminuer l'importance relative. Il s'agit d'un
processus analogue à celui de la défusion, bien connu dans la relation
amoureuse, mais qui peut exister à moindre échelle dans toute relation. Vient
un moment où la dynamique relationnelle marque une inflexion pour l'un des
partenaires. Ce qui ne signifie pas qu'il en souhaite la fin...
L'adaptation consiste à accepter
de changer cette dynamique. Malheureusement, cette rupture étant déstabilisante
et potentiellement inquiétante pour l'autre, ce passage demanderait précisément
un ajustement. Or celui-ci passe par la parole...
C'est un point très critique
dans toute relation puisque ce qui devient "évidence" pour l'un ne
l'est pas pour l'autre. L'investissement moindre s'impose en soi, peut-être
parfois avec un certain malaise pour celui qui le sent apparaître, puisqu'il
perçoit bien qu'il est acteur de ce décalage. Pour l'avoir vécu, je sais
maintenant que cet épisode demande une grande attention, tant dans l'expression
que dans l'écoute. Le "quittant" aura tendance, par culpabilité
inconsciente, à avoir une expression inadéquate (peu d'expression, ou alors
agressivité, repli), tandis que le "quitté" percevra le moindre
investissement mais en niera inconsciemment la réalité. Dans les deux cas la
communication deviendra complexe par manque, ou excès désordonné, de mots.
Une autre forme de silence imposé
existe aussi sous des formes plus pernicieuses. Il s'agit du silence comme
instrument de chantage affectif. Ou pour être plus cinglant : comme instrument
de torture. Le pouvoir de celui qui impose le silence est imparable. D'une
certaine façon l'autre est obligé de s'y soumettre... Toute tentative de
restauration de contact devient intrusive, donc potentiellement
aggravante.
Savoir que l'autre souffre du
silence, ne pas réagir face à cette souffrance, ne pas chercher à l'apaiser,
peut donner un grand pouvoir. Tout en sachant que la réciproque est vraie en
matière de chantage affectif : exprimer sa souffrance en vue de rompre un
silence insupportable est aussi une forme de manipulation tendant à la
culpabilisation de l'autre.
Il existe aussi le silence
tyrannique, sous forme de « je ne veux plus qu'on parle de ça ». C'est ce que
vient de faire ma mère, pour clore un courrier familial collectif ou elle
déversait tout un mal-être affectif dont elle-même avait été l'élément
déclencheur. En jouant le rôle de la victime blessée, tout en interdisant qu'on
revienne sur le sujet, elle tente de renvoyer la culpabilité de sa souffrance
sur chacun... sans laisser la possibilité d'intervenir. Choix victimaire
tyrannique. Outrepasser cette injonction oblige à une intrusion dans un espace
de silence qu'elle impose. Respecter son souhait... c'est nier un ressenti
personnel qui peut être en désaccord avec sa vision des choses. C'est une
manipulation affective assez pernicieuse...
En toute circonstance le silence est une
expression : celle de la limite d'un territoire relationnel. Il doit être
respecté, du moment qu'il n'est pas tentative de manipulation affective ou
générateur de sentiment d'injustice. Le silence est une façon de dire « je
ne souhaite pas être en relation avec toi en ce moment ». Ces mots sont
sans doute difficiles à exprimer, et à entendre, mais ils sont pourtant
essentiels pour donner du sens à ce qui n'en a pas. Le non-dit est un poison,
une violence muette. Et le minimum qu'on puisse attendre d'une relation de
confiance, c'est que les choses soient dites. Le silence non expliqué est une
fuite qui laisse à l'autre le soin de trouver tout seul les explications
manquantes. En ce sens le silence imposé est un puissant destructeur de
confiance. Tout comme la communication construit une relation, le silence
non-expliqué (non communiqué) détruit. Le silence imposé est un acte mortifère
dans une relation.
Il a donc un certain sens...
Mais la parole imposée est tout autant mortifère, si elle ne respecte pas un
besoin de silence. Sans compter que la parole est parfois une forme de non-dit,
lorsqu'elle se disperse au lieu d'aller à l'essentiel. Lorsqu'elle fait
diversion et s'égare loin de ce qui doit être dit.
Et cet essentiel peut parfois être de
dire simplement : ton silence
m'inquiète.
Ce qui est certain, c'est que du
silence ou de la parole, la seule chose qui détruise la relation est la
non-écoute des besoins de l'autre. Accepter, accueillir un besoin de silence
clairement exprimé ne détruit rien. C'est une mise en attente, une pause
relationnelle, dont chacun des protagonistes peut tirer parti. Si les désirs
sont respectés la relation n'est pas endommagée et le lien de confiance
demeure. Celui qui a eu besoin de silence peut vouloir se ressourcer ailleurs
et ne peut être que reconnaissant que ce besoin ait été reconnu. Et si le temps
de silence conduit à un éloignement... c'est qu'il devait en être ainsi. Parce
que la vie est mouvement et constante évolution. On ne force pas les choses en
matière de ressenti : c'est ou ce n'est pas, et la volonté n'y peut rien.
Il y a un silence dont je n'ai pas parlé : quand il n'y a plus rien à se dire.
Quand le temps de relation est passé dans une sorte de vide affectif, ne
persistant que par habitude ou conventions. Je pense à certains liens familiaux
"obligés", ou aux couples qui n'ont plus rien à se dire dans leur vie
de cohabitation. Mais peut-on encore parler de relation, lorsque c'en est à ce
point ?